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Le désendettement des rapatriés d'Algérie

Auteur : Cabinet BARBIER
Publié le : 05/02/2007 05 février févr. 02 2007

Le Décret du 22 novembre 2006 ou la mise en conformité du dispositif de désendettement des rapatriés avec la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Le Décret du 22 novembre 2006Le Décret du 22 novembre 2006 ou la mise en conformité du dispositif de désendettement des rapatriés avec la Convention Européenne des Droits de l'Homme

Même les praticiens qui n'ont jamais eu à se heurter à la suspension des poursuites invoquée par un débiteur alléguant la qualité de rapatrié ont eu vent de son régime à la suite des abondants commentaires doctrinaux suscités par les arrêts rendus par la Cour de Cassation le 7 avril 2006 (Réfs. : Assemblée Plénière N° de pourvoi : 05-11519) et le 5 octobre 2006 (Réfs. : 2ème Ch.Civ. N° de pourvoi : 05-11343).

Rappelons pour le lecteur pressé que, dans un contexte de défausse de l'Etat sur les créanciers de rapatriés d'Algérie non indemnisés des conséquences de la spoliation dont ils avaient été victimes au début des années 1960, est intervenue une loi du 30 décembre 1997 dont l'article 100 aujourd’hui en vigueur dispose :

« Les personnes qui ont déposé un dossier avant le 18 novembre 1997 auprès des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés dans une profession non salariée bénéficient d'une suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre jusqu'à la décision de l'autorité administrative compétente, jusqu'à la décision de l'autorité administrative ayant à connaître des recours gracieux contre celle-ci, le cas échéant, ou, en cas de recours contentieux, jusqu'à la décision définitive de l'instance juridictionnelle compétente.

Les personnes qui n'entrant pas dans le champ d'application du premier alinéa ont déposé un dossier entre le 18 novembre 1997 et la date limite fixée par le nouveau dispositif réglementaire d'aide au désendettement bénéficient de la suspension provisoire des poursuites dans les mêmes conditions que celles définies à l'alinéa précédent.

Ces dispositions s'appliquent également aux procédures collectives et aux mesures conservatoires, à l'exclusion des dettes fiscales. Elles s'imposent à toutes les juridictions, même sur recours en cassation.

Les personnes ayant déposé avant le 18 novembre 1997 un recours contre une décision négative prise en application de l'article 44 de la loi de finances rectificative pour 1986 (n° 86-1318 du 30 décembre 1986) et de l'article 12 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 bénéficient également de la suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre jusqu'à la décision définitive de l'instance juridictionnelle compétente.

Bénéficient également d'une suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre, selon les mêmes modalités, les cautions, y compris solidaires, des personnes bénéficiant d'une suspension provisoire des poursuites au titre de l'un des alinéas précédents. »

Au fil des lois de finance ultérieures, le délai dans lequel les dossiers de demande de désendettement devaient être déposés a été prorogé pour demeurer fixé dans son dernier état au 28 février 2002, par application de l’article 77 de la loi du 18 janvier 2002, dite Loi de Modernisation Sociale.

Le Juge Judiciaire saisi d'une exception de suspension des poursuites s'est interdit non seulement de vérifier l'effectivité de la qualité de rapatrié invoquée mais encore de tirer les conséquences du caractère tardif du dépôt de la demande en Préfecture : séparation des pouvoirs et des ordres judiciaire et administratif obligent.

Même du chef d'un endettement sans rapport avec une quelconque réinstallation, tous les rapatriés ou prétendus tels, ces derniers manifestement plus nombreux que les premiers, échappaient ainsi aux poursuites de leurs créanciers.

Même les procédures collectives ouvertes à leur encontre marquaient le pas dans l'attente du terme toujours repoussé de l'instruction des dossiers de désendettement ou de l'issue des recours dont les intéressés frappaient systématiquement les décisions administratives les déclarant totalement ou partiellement inéligibles au dispositif instauré.

Une fois ceux-ci épuisés, il leur suffisait de déposer une nouvelle demande pour restaurer le bénéfice de la suspension des poursuites. Le fossé qui sépare l'autorité de la chose judiciairement jugée de celle de la chose administrativement décidée se trouvait ainsi illustré jusqu'à l'absurde au profit de "justiciables" dont certains n'avaient même jamais franchi la méditerranée.

Le tout se déroulait en outre dans une opacité délibérément entretenue par les débiteurs avec la complicité objective des préfectures et de la délégation ministérielle aux rapatriés, sous couvert de confidentialité et d'obligation de réserve. La lenteur de la juridiction administrative parachevait les effets de ce complot et même les créanciers institutionnels finissaient par passer à perte ces dossiers coûteux et improductifs.

Inventée au plus haut niveau de l'état, la suspension des poursuites était âprement défendue par la juridiction suprême, la séparation des pouvoirs n'excluant donc pas la convergence de leur exercice.

Sans la courageuse résistance de la Cour de MONTPELLIER qui relayait heureusement l'argumentaire que des plaideurs inventifs décidaient opportunément de fonder sur une norme supra étatique, les créanciers de rapatriés auraient disparu de la scène judiciaire avant que ne s'éteigne le dernier de leurs débiteurs.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme en sanctionnant la Grèce (HORNSBY c/ GRECE, CEDH, 19 mars 1997, n° 107-1995-613-701, Dalloz 1998, Jurisprudence, page 74) avait estimé que l'exécution des décisions obtenues doit être assurée par les états au nom du procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention Européenne.

C'est sur ce fondement que la Cour de MONTPELLIER estimait que le rapatrié dont l'immeuble avait été vendu aux enchères et qui s'y maintenait sans droit ni titre au mépris du titre obtenu par l'adjudicataire devait être expulsé.

On avait pu craindre que l'arrêt ne fût d'espèce puisqu'il pouvait aussi s'expliquer par la nécessaire protection du droit de propriété de l'adjudicataire confronté à l'occupation sans titre du débiteur saisi et devant lequel la suspension des poursuites devait s'effacer.

Ceux qui cherchaient, dans cette jurisprudence nationale embryonnaire comme dans l'assimilation par la jurisprudence européenne (CEDH 14 février 2006, LECARPENTIER c/ FRANCE, requête n°67847/01) du droit de créance au droit de propriété, des raisons d'espérer, n'ont pas été déçus qui reprenaient confiance en la justice de leur pays avec l'arrivée du printemps 2006 (cf. Arrêt précité du 7 avril 2006) et se trouvaient définitivement rassérénés en octobre (cf. Arrêt précité du 05.10.2006 et plus récemment dans le même sens Cass. Civ. 2, 21/12/06 n°04-20020 ).

L'état du droit était restauré (sauf pour les véritables rapatriés dont l'indemnisation restait renvoyée aux calendes) au motif que la suspension des poursuites découlant du dispositif de désendettement des rapatriés, en ce qu'elle est, de fait, d'une durée illimitée et en tout cas indéterminable, est contraire à la règle du procès équitable et ne peut mettre obstacle ni à l'obtention d'un titre, ni à son exécution.

Approche d'élections capitales ou repentir actif, le pouvoir règlementaire n'a pas tardé à intervenir.

Le 22 novembre 2006, notre droit positif s'est enrichi d'un décret dont l'unique objet a été d'ajouter au dispositif de désendettement la disposition suivante, devenant l'article 8-1 du décret n°99-469 du 4 juin 1999 :

« En application de l’article 100 de la loi de finance pour 1998 (n°97-1269 du 30 décembre 1997), dans sa rédaction issue de la loi n°98-1267 du 30 décembre 1998, tout juge saisi d’un litige entre le débiteur dont la demande est déclarée éligible et un de ses créanciers surseoit à statuer et saisit la commission.

Dans ce cas, la commission dispose d’un délai de six mois à compter de la notification qui lui est faite de la décision pour accomplir sa mission.

Lorsqu’elle constate l’échec de la négociation, la commission en avise le juge. L’instance des parties est poursuivie à l’initiative des parties ou à la diligence du juge ».

Si l'on se souvient que la frilosité judiciaire se fondait sur le nécessaire respect de la séparation des pouvoirs, le mouvement amorcé n'est pas sans rappeler celui du balancier de l'horloge comtoise.

Voici maintenant que le juge judiciaire, après s'être interdit d'exercer sur la mise en œuvre de la suspension des poursuites appelées devant lui son pouvoir régulateur, pour la balayer ensuite à coups de droits de l'homme, se mêlerait de donner une injonction à l'autorité administrative.

Il s'agit bien de cela : si la Commission a déclaré le rapatrié éligible au dispositif de désendettement, il lui impose d'arrêter les mesures dans les 6 mois. Le Juge Judiciaire est ainsi érigé en Juge de la mise en état des dossiers soumis à la CONAIR.

Du coup, leur examen s'opère dans un délai déterminable et fixé par le Juge Judiciaire au vu d'une éligibilité dont la déclaration reste appartenir à l'autorité administrative. Le grief tiré d'une prétendue contrariété à la Convention Européenne des Droits de l'Homme perd ainsi toute portée.

Il ne fait pas de doute, s'agissant d'une règle de procédure, qu'elle s'applique aux instances en cours.

Tout n'est cependant pas dit et la lecture que le Juge Judiciaire doit faire de ce texte doit être remise en perspective avec l'historique ci-dessus pour produire l'effet escompté.

Puisque le texte vise exclusivement le rapatrié déclaré éligible (par la Commission), qu'en sera-t-il de celui qui ne l'a pas été ? Il ne bénéficie pas de la suspension sauf à sombrer dans les errements passés et priver le texte de tout effet utile. Celle-ci se déplace donc dans le temps puisqu'elle découlait auparavant du simple dépôt d’un dossier en Préfecture.

On voit bien revenir l'autorité de la chose décidée dans le cas du rapatrié déclaré inéligible contestant la décision correspondante devant la juridiction administrative.

Dès lors qu'il ne justifie pas devant le Juge Judiciaire avoir été déclaré éligible, il ne peut bénéficier de la suspension des poursuites.

Ce n'est en effet que sur le vu d'une telle justification que le Juge Judiciaire saisit la CONAIR en l'invitant à accomplir sa mission dans les 6 mois.

L'analyse téléologique de la mesure impose de conclure que sur réouverture préprogrammée dans le jugement correspondant ou à la demande de la partie la plus diligente (j'ai nommé le créancier), le Juge Judiciaire tirera les conséquences de la carence de la CONAIR et mettra un terme à la suspension des poursuites.

Dans le cas contraire, c'est le plan de désendettement qui régira les poursuites.

On sait d'expérience qu'il relève du saupoudrage et ne porte que sur certaines créances. Les créanciers non visés retrouveront donc leur droit de poursuite.

Mais qu’advient-il du débiteur dont le dossier a été déposé sans avoir fait l’objet d’une décision quelconque ?

La lettre des textes impose de considérer qu’il bénéficie de la suspension des poursuites. Le contexte dans lequel intervient le décret et une lecture téléologique conduiraient cependant à la solution inverse dans laquelle la suspension des poursuites est conditionnée par la décision d’éligibilité.

A défaut d’une telle lecture, la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts précités des 7 avril et 5 octobre 2006) trouvera une nouvelle occasion de s’exprimer puisqu’elle ne semble pas devoir s’infléchir au vu du nouveau dispositif réglementaire (cass. Civ. 21/12/06 précit.).

Si le texte est appliqué dans cet esprit, nombre de faux-nez tomberont et se tarira le flux des dossiers creux qui encombrent la Commission et le fin des exceptions et recours qui font de même auprès des Juges Judiciaire comme Administratif.

Peut-être les véritables rapatriés y gagneront-ils un examen plus rapide de leur dossier et l’Etat français une meilleure conscience.





Cet article n'engage que son auteur.

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